L’autoédition: le puit, ou le tremplin
Avant toute chose, il est nécessaire pour moi de clarifier une chose : L’auto-édition est un domaine. Et comme tous les domaines, on peut avoir une vision de celui-ci. Bonne ou mauvaise, moyenne ou exécrable. Mais l’auto-édition en soi n’est ni bonne ni mauvaise : elle est ce qu’on en fait.
Et ici, je parle de ma vision de l’auto-édition, de ce que j’en ai tiré, et de ce qu’elle peut encore offrir.
Pas la mort du papier, mais une passerelle vers lui.
Octobre 2011, un article du Monde me pousse à tenter le coup de l’auto-édition. On entend déjà les cris de haine, les pro-papiers qui s’érigent d’avance contre les futurs pro-numériques pour une guerre sans merci dans l’enjeu serait nul autre que l’avenir même de la littérature.
Pour ma part, pauvre tâcheron au fin fond de la Seine Marne, je n’y voyais qu’une opportunité. Pas la mort du papier, mais une passerelle vers lui. À mes yeux, les lecteurs voudront toujours posséder un bouquin sur leur étagère, et un auteur aura toujours un petit truc au cœur quand son premier livre sort en papier. C’est ce que je pensais à l’époque, et c’est encore ce que je pense aujourd’hui.
La question n’était plus pour moi « numérique » ou « papier », mais comment obtenir le papier via le numérique. Et avec les années qui passent, et le succès de Kindle et autre Kobo, il me parait évident que pour le jeune auteur, l’un ne va plus sans l’autre. Il s’agit des deux faces d’une même pièce, qui elle-même sert de moteur à la diffusion de l’imaginaire débordant de notre bonne vieille humanité.
L’auto-édition est un monde où une certaine forme de sélection naturelle est à l’œuvre.
L’arrivée du numérique a provoqué l’ouverture d’un immense marché de l’imaginaire : Les boutiques Kindle étaient pleines de titres « pros », mais quand les portes de l’auto-édition ce sont ouverte, c’est tout un monde nouveau et vierge qui s’est offert à nos claviers d’amateurs.
Quand j’ai publié mes premiers écrits sur Kindle, j’étais surexcité, et écrasé par un trac sans doute moins fort que celui du jeune acteur qui monte sur les planches pour sa première fois, mais pas loin. Car le plus dur à mes yeux, était (encore aujourd’hui) de s’exposer à cet œil flamboyant qui voit tout, jusqu’aux tréfonds de votre âme… Non, je ne parle pas de l’Œil du Mordor, mais bien de celui du lecteur anonyme, qui va vous coller une prune à deux étoiles en le taxant de copie de collégien. Celui qui n’a aucune raison de ménager votre petit cœur sensible d’artiste aux doutes existentiels.
Beaucoup l’ont souligné : l’auto-édition numérique souffrirait d’un grand mal, ses pseudo-auteurs médiocres qui publient à tour de bras des textes à peine lisibles. Mais à mes yeux, il s’agit d’une vision partisane qui va éviter le sujet de sa régulation naturelle. Soit par mauvaise foi pour que leurs arguments ne perdent pas leurs mordants, ou simplement par pure ignorance.
Car soyons honnête : qu’arrive-t-il à un texte moisi et truffé de fautes, à la couverture gribouillée sur Paint?
Il coule. Le classement d’Amazon est tapissé de ses ebooks autoédités, aux glorieuses notes frôlant les deux étoiles, ou simplement sans avis, car les trois premières lignes de la description sont déjà elles-mêmes truffées de fautes ou aussi bien construites que la couverture… L’auto-édition est un monde où une certaine forme de sélection naturelle est à l’œuvre. Tous les jours, à chaque commentaire.
l’auto-édition n’est pas le terminus de l’aventure de l’auteur en herbe
Car ce système permet de faire ses premières armes, ses premiers lecteurs et commentaires élogieux (ou non). Grâce à ça, j’ai pu commencer à partager sur Kindle mon premier roman de fantasy à mes compagnons de guilde dans World of Warcraft (Bonjour, je m’appelle K. J’étais un Wow addict *pleure*), que j’ai aussi partagé sur les forums du même jeu (avant de me faire virer par la modération…) pour récolter encore plus d’avis (cherchez une tronche de blonde en pleine page dans la liste de mes livres Amazon, les commentaires y sont encore…) provenant d’anonymes de tout milieux.
Pour l’auteur débutant, à condition qu’il ait la conscience de son imperfection, cette aventure qu’est l’auto-édition est un premier pas pour se faire une base de lecteur, mais aussi pour se faire la main en tant qu’auteur. Créer sa couverture, observer les « grands » pour s’inspirer de leur technique, affiner son style… et tenter des styles, des histoires, des aventures que l’absence même de l’auto-édition numérique n’aurait pas permis de partager. Quand je regarde le succès de ma nouvelle Trois secondes, je me dis que sans l’auto-édition et sa relative simplicité de publication, elle serait restée dans un tiroir…
Pour moi, c’est une bouffée d’air de pure création et de partage. Surtout depuis que je peux mettre en gratuit mes écrits, je me fais plaisir… Car je crée pour créer. Quand un de mes bouquins est payant, c’est plus pour tenter ma chance et allumer le gyrophare dans l’espoir d’être vu et lu par… des maisons d’édition. Car, à mes yeux, l’auto-édition n’est pas le terminus de l’aventure de l’auteur en herbe. C’est une étape. Un filtre qui permet de savoir si on est capable de toucher un public, d’attirer les regards avec nos breloques tendrement forgées du bout de nos doigts et qu’on offre à moindre prix.
Une littérature si frêle, que le moindre souffle imparfait la ferait vaciller vers l’oubli et l’auto-destruction…
Il y a aussi ce « débat » des oeuvres autoédités papier qui blessent mortellement… leur propre portefeuille… Quand je lis les détracteurs de l’édition papier à la demande ou des démarches des auto-édités papier, j’ai l’impression qu’ils ont la vision d’un auteur à succès, qui vend allègrement en direct au lecteur tout ses exemplaires, sous l’oeil chagriné des éditeurs et des libraires qui le regardent faire impuissant, la main posée sur le formulaire rose de Pôle-Emploi…
Pitié. C’est aussi intelligent que de prétendre que n’importe quel auteur publié au moins une fois dans sa vie en papier, gagnera un smic chaque mois – à vie.
Si ce que vous écrivez est moisi, il n’est pas acheté. Pas acheté = pas imprimé dans le cas de l’impression à la demande. Si l’auteur a payé trois cartons de son dernier bébé, il va démarcher des – devinez qui ?- libraires pour vendre son livre… avec 0 succès si le livre est blindés de fautes dès la quatrième de couverture. J’ai fais l’erreur de vouloir mettre en papier mon tout premier, clairement par excès de vanité (et par excitation à l’idée de le voir en papier).
Je me suis croûté. Lamentablement. Avec le recul, je comprend : le livre papier reste une forme physique du roman qui se doit d’être servie sur un plateau d’argent. Par la couverture, la qualité de son contenu, et la promotion qui va l’entourer pour mettre en avant tout les efforts qui ont été investis. Et je suis loin de ce niveau de qualité et de persévérance (surtout pour la promotion).
Et si quelques auteurs parviennent à distribuer leurs livres à la seule force de leurs poignets, endossant toutes les casquettes, en restant des artistes à part entière, on devrait les saluer à la façon dont on salue l’athlète qui traverse la Manche à la nage alors que le Ferry klaxonne à côté. Et non les dédaigner en les montrant du doigt comme des représentations d’une généralité fantasmée, coupable de coup de couteau dans la peau si fine de cette littérature maltraitée, fragile et mourante. Vision d’une littérature si frêle, que le moindre souffle imparfait la ferait vaciller vers l’oubli et l’auto-déstruction… Une vision. La mienne est aux antipodes de cette perception.
Non, cela ne met pas le reste de l’industrie littéraire en danger
Pour finir, comme d’autres blogs, auteurs ou chroniqueurs ne cessent de le rappeler : il y a un sacré paquet de saloperies illisible dans l’auto-édition. Oui, c’est vrai. Et nul doute qu’aux yeux de certains, mes livres en font partie. Pourtant, je vois ça comme une sorte de magma créatif primordial, dans lequel une sélection se fait à nouveau par le seul et unique juge naturel de cet univers : le lecteur.
Ce lecteur qui n’est pas cette petite chose fragile qui va cesser de lire des livres parce qu’il a saigné des yeux sur le dernier Kane Banway blindé de fautes. Non, cela ne met pas le reste de l’industrie littéraire en danger. Cette profusion de créations aux niveaux de qualités variés ne prouve qu’une seule chose à mes yeux : la créativité et la littérature sont deux entitées bien vivantes et trépidantes, preuve que l’imaginaire est bien vivante et frétillante.
Et en ces temps où l’acte de créer devient une lumière dans l’obscurité, vouloir ignorer avec dédain cette manne est, à mon humble avis, une erreur.